Il était une fois… l’Ami 8

par Loïc Ruol

Se voulant radicalement différente de sa devancière, l’Ami 8 en est toutefois bien proche, tant sur un strict plan mécanique que du point de vue de sa carrière, aussi longue et aussi peu mouvementée…

Longtemps boudée des amateurs de Citroën, au même titre que la Dyane le fut par les deuchistes, l’Ami 8 a été conçue, reste et restera un modèle de la gamme Ami à part entière.

Quarante ans après son lancement, c’est non sans une certaine satisfaction que l’on assiste à un regain d’intérêt pour cette voiture dont la notoriété reste néanmoins en retrait face à celle de sa devancière.

L’AMICLUB de FRANCE se doit donc, en cette année de commémoration du quarantenaire de l’Ami 8, de vous livrer quelques informations et anecdotes sur l’étude, la genèse, la commercialisation et la carrière de ce qui nous apparaît comme un modèle à part entière de la gamme Citroën des années 1970.

À l’issue de la lecture de cet article, peut-être aussi vous laisserez-vous séduire… qui sait ?

D’ABORD, FUT L’AMI 6

L’étude de la carrière de l’Ami 6 réserve sans cesse des surprises, tant elle s’inscrit à contre courant des usages de la firme du quai de Javel. Elle a été étudiée rapidement, de 1958 à 1961, alors qu’il a fallu une douzaine d’années pour la 2CV et guère moins pour la DS (Seule la Traction détient le record d’une dizaine de mois !). C’est en outre la seule et unique berline de la marque à avoir adopté la forme du « trois volumes ». Jamais une autre Citroën tricorps n’a en effet vu le jour après l’Ami 6, à l’exception de l’actuelle et récente C5. Enfin, elle se singularise par cette lunette arrière inversée, qui crée ainsi un Z donnant son nom à la ligne générale du véhicule.

Mais mieux encore, la comparaison entre les carrières des trois Citroën de la décennie 60 démontre que l’Ami 6 est – une fois encore –la seule Citroën dont la durée de commercialisation aura été la plus courte : 8 années, contre 42 pour la 2CV et 20 pour la DS ! Enfin et toujours mieux : l’Ami 6 est la seule qui n’ait jamais été véritablement restylée… Quelle singularité !

À ce stade de notre raisonnement, deux théories s’affrontent :

  • Soit il faut considérer que l’Ami 8 n’est qu ’une Ami 6 « rhabillée » ou tout au plus « reliftée », et dans ce cas on doit considérer que sa carrière aura au total duré 18 ans, mais cette approche balaie la singularité de l’Ami 6.
  • Soit, au contraire, il faut considérer que l’Ami 8 est une nouvelle voiture, différente, rompant catégoriquement avec sa devancière.

Pour ma part, c’est cette dernière théorie que j’ai choisie et que je vais m’efforcer de vous démontrer.

QUOI DE HUIT ?

Démodée ! Oui, en 1969, l’Ami 6 est démodée. La clientèle boude de plus en plus la berline. La ligne arrière en Z a fait son temps… oubliées les références à l’Amérique ! Les clients, à l’aube des années 70, veulent de « l’européen », c’est-à-dire des lignes fluides, tendues.

Pour Citroën, le message est clair : il faut tourner la page de l’Ami 6 et proposer une voiture nouvelle. Mais les « fonds sont bas », l’étude des projets « F » qui doivent donner naissance à la GS a coûté cher, et l’ on préfère investir dans le rotatif, moteur de l’avenir… On gardera donc les bases -excellentes au demeurant et qui ont fait preuve d’une incroyable robustesse- de l’Ami 6 (plate forme, suspension, mécanique…) mais en changeant au maximum le véhicule.

À la mort de Flaminio BERTONI, en février 1964, c’est Robert OPRON qui s’est vu confié la direction du bureau d’études, dès juin. C’est en 1968 que Pierre BERCOT, le patron de Citroën, lui confie le projet du remplacement de l’Ami 6, avec le cahier des charges que nous venons d’évoquer. Il a l’idée, pour diminuer les coûts de fabrication, d’utiliser le maximum de l’outillage existant. C’est ainsi que seuls les blocs avant et arrière du véhicule seront profondément modifiés, alors que la cellule centrale sera globalement conservée.

Exit le capot tombant « comme un crêpe » de l’Ami 6 : il sera intégré à la baie de pare-brise et à la face avant. Adieu également à la ligne Z : dans un souci d’harmonisation de la gamme entière, il adoptera la ligne fastback et la troisième vitre que l’on retrouvera quelques années plus tard sur les GS et CX, avec la petite porte de malle sous la lunette arrière. Toujours dans le même souci d’harmonisation, les feux arrière seront intégrés dans les ailes, avec un effet vertical, comme sur les GS et CX.

L’anecdote la plus intéressante concerne les phares : Robert OPRON avait en effet prévu que la nouvelle Ami 8 soit équipée d’optiques complexes du même style que ceux de la GS. Cette solution, qui avait séduit le patron, avait le double mérite de doter le véhicule d’un éclairage extraordinaire mais surtout de créer une réelle parenté avec la future GS. Toujours ce souci de faire oublier l’Ami 6 !… Mais le coût extraordinaire de cette solution a freiné net les ambitions du styliste : il fut sommé de réutiliser les phares rectangulaires de l’Ami 6, mais comme les presses de la nouvelle face avant étaient déjà réalisées, il dût réaliser à la hâte un enjoliveur en inox pour combler le vide…

TOUT EST NEUF

L’Ami 8 apparaît lors du salon de Genève, le 11 mars 1969. Son style extérieur est pur et donne une impression de finesse par rapport à sa devancière : nouvel avant, poignées de porte profilées, ligne moins tourmentée, feux arrières intégrés… elle a tout pour plaire ! C’est surtout à l’intérieur que les progrès les plus importants ont été réalisés : la planche de bord est entièrement nouvelle, toute en plastique noir – à la limite de l’austérité – avec le compteur de vitesse très en retrait. Les sièges sont réglables, même en finition confort et le pare-brise qui descend plus bas donne une impressionnante sensation de visibilité.

Tout ceci concourt à effacer l’image pourtant excellente en termes de robustesse, de dynamique et de confort qu’avait laissé l’Ami 6.

Pour Citroën, c’est une nouvelle voiture, qui a d’ailleurs un nouveau nom : l’Ami 8. Pourquoi « 8 » ? Personne ne semble être en mesure d’expliquer le choix de ce nombre. La coutume, chez Citroën, veut que le nombre désigne la cylindrée : 2CV et Dyane 4 et 6, DS 19 ou 20 ou 21 ou encore 23…

Faut-il voir ici un essai de changement de moteur ou simplement la volonté ferme de changer le nom du véhicule ? Les deux hypothèses sont probables ; Citroën disposait à l’époque du moteur Panhard de 850 cm 3 qui aurait pu être monté sur l’Ami… 8 !

Quoiqu’il en soit, la France, en ce début d’année 1969 est tenue en haleine par les services de communication de Citroën : « Quoi de huit ? » telle est la question placardée sur tous les espaces publicitaires disponibles. Quoi de neuf ? La réponse sera donnée le mois suivant : « Tout est neuf. C’est l’Ami 8 ».

Les premiers catalogues publicitaires sont eux aussi axés sur la rupture nette et tranchée avec l’Ami 6. Finis les photos d’Ami 6 entourées de femmes, hommes et enfants dans les rues de Paris ou à la campagne. Seule l’Ami 8 compte désormais : on insiste sur le véhicule, ses qualités ! « Les huit pourquoi de l’Ami 8 » et « Une voiture nommée plaisir », tels sont les titres donnés à ces catalogues qui ne mettent désormais en valeur que la voiture…

Le succès de l’Ami 8 fut immédiat, malgré l’apparition plus tardive du break, en septembre 1969.

Ainsi, pour la seule année 1970, 124 418 Ami 8 ont trouvé preneurs, dont 66 702 berlines, 54 254 breaks et 3462 service !

 UNE BELLE CARRIÈRE !

La carrière de l’Ami 8 débute le 17 mars 1969, lors de la présentation de la voiture aux concessionnaires Citroën. Elle n’est alors présentée qu’en une seule carrosserie, celle d’une limousine 6 glaces, mais en deux finitions, confort et club. Ces deux degrés sont d’ailleurs issus des Ami 6, la « club » se distinguant extérieurement de la « confort » par les baguettes de protections reprises aux Ami 6 et semblables aux DS « Pallas », des joncs enjoliveurs d’entourages des vitres en inox. À l’intérieur, les sièges séparés sont de série tandis que la sellerie associe avec goût tissu et simili cuir. Une épaisse moquette grise recouvre les planchers et le coffre est garni d’un feutre du même ton et les brancards de caisse sont recouverts d’un enjoliveur en aluminium brossé. Par rapport à sa devancière, l’Ami 8 « club » abandonne donc les fameux flaques « gala », jugés sans doute trop fragiles, ainsi que les doubles optiques, incompatibles avec la fluidité de la ligne. En revanche, sur l’Ami 8 « confort », les sièges avant séparés (en option) seront équipés d’une molette permettant de régler l’inclinaison du dossier jusqu’en position couchette. Le tissu des sièges, commun au deux finitions est nouveau : il sera baptisé « coquillé », du fait du motif proche de la coquille Saint-Jacques qu’il reprend. Naturellement, les tons adoptés sont en adéquation avec la teinte carrosserie retenue.

Mécaniquement, la toute nouvelle Ami 8 est équipée du moteur M28 dit également AM2 de l’ancienne Ami 6 ; bien connu des mécaniciens, ce moteur développe 35 ch SAE et permet à la voiture d’atteindre (péniblement) les 123 km/h. Il est accouplé à une boîte de vitesses à 4 rapports et marche arrière dont les démultiplications ont évolué par rapport à l’Ami 6 : excédent de poids oblige ! Les freins ne changent pas non plus : quatre tambours, dont deux en sortie de boîte, assurent à l’Ami 8 un freinage puissant et parfaitement dosé.

Enfin, l’Ami 8 de mars 1969 a été reçue au service des Mines sous la dénomination d’AM3.

Dans cette configuration première, l’Ami 8 ne restera que six mois, car déjà, à l’occasion du changement de millésime, quelques enrichissements et modifications apparaissent.

La gamme Ami s’enrichit en effet d’une version break et d’une autre, plus utilitaire, baptisée « service ». A l’instar de l’Ami 6 dont il reprend la ligne, le break Ami 8 est pourvu d’un hayon qui descend jusqu’au plancher, grâce aux feux arrière intégrés dans les ailes. Le plancher est ici totalement plat, ce qui représente un progrès notable. L’Ami 8 service, dans la même lignée, est un break dont les portes arrière ont disparu au profit de longues ailes. C’est un utilitaire à TVA « récupérable ». Il sortira en deux versions : tôlé et vitré.

Sur l’ensemble de la gamme, le tissu « coquillé » disparaît déjà ; il est remplacé par un tissu uni, baptisé « jersey  velours» et sur la planche de bord, un voyant rouge de pression d’huile apparaît. Sur les finitions « club », les profilés enjoliveurs de bas de caisse disparaissent également.

Techniquement, l’évolution notable qu’il convient de souligner est l’adoption dès le mois de septembre 1969 de freins avant à disques. Le circuit de freinage est du coup totalement revu et passe en LHM, ce qui implique un changement du maître-cylindre et des cylindres arrière.

C’est toutefois en cours d’année-modèle 1970 qu’intervient un changement notable dans la carrière de l’Ami 8 : les glaces des portes avant qui étaient coulissantes depuis l’avènement de l’Ami 6 en avril 1961 sont enfin descendantes depuis juin 1970. Il s’ensuit que les anciennes garnitures des portes avant disparaissent (dommage car elles intégraient un utile vide-poches) au profit de nouvelles, plus plates et recouvertes de simili. Aussi, et pour distinguer encore plus nettement ces nouvelles versions, le double chevron apparaît sur la calandre !

Les années-modèle 1971 et 1972 passeront sans qu’aucune modification « esthétique » ne soit apportée à l’Ami 8 ; seul le bloc moteur bénéficiera d’une attention de la part des techniciens du bureau d’études, puisqu’à partir de novembre 1970 une cartouche filtrante amovible remplace la bonne vieille crépine qui était située dans le carter. Il s’agit en réalité d’une évolution qui avait été rendue nécessaire par les nombreux problèmes de circulation d’huile dans le moteur, les fameuses crépines ayant une fâcheuse tendance à se colmater et priver ainsi toute la mécanique et notamment l’embiellage d’un précieux graissage ! On notera au passage l’abandon des batteurs à inertie situés dans les roues arrière en septembre 1971, tandis qu’à l’intérieur, de nouveaux accoudoirs de porte, fabriqués en une seule pièce, apparaissent en décembre de la même année.

Les modèles présentés au salon de Paris de septembre 1972 n’appellent aucune remarque particulière : ils ne diffèrent absolument pas des précédents. Il faudra attendre janvier 1973 pour que l’Ami 8 se voit munie d’un nouveau volant, en mousse noire.

Cette nouveauté est en réalité issue d’une toute nouvelle version dans la gamme Ami : l’Ami Super, qui se voit greffée la mécanique plus puissante des GS 1015, adopte en effet une nouvelle direction plus démultipliée qui permet l’adoption d’un volant dont le diamètre de la jante est plus petit. Deux petits détails vont toutefois attirer l’oeil de l’amateur : le monogramme « Ami 8 » change en mars 1973: c’est, à l’instar de toute la gamme Citroën, une petite plaquette, légèrement dorée qui est apposée sur la porte de malle. Toujours sur cette même porte, mais en avril, le graphisme « Citroën » de la baguette inox change à son tour : il est plus petit et accueille le double chevron.

Enfin en avril 1973, les batteurs à inertie des roues avant disparaissent à leur tour et des amortisseurs plus fermes sont montés.

Pour l’année-modèle 1974, et par souci d’uniformisation de la gamme, les Ami 8 reçoivent le tableau de bord havane monté depuis janvier 1973 sur les Ami Super. Le compteur de vitesse n’est donc plus gris mais marron clair et les nouveaux sièges de type « trapèze », plus galbés, qui équipent en série les Ami Super version « club » sont disponibles en option sur les Ami 8, désormais uniquement disponible en finition « confort ». En outre, il faut noter que les manivelles de lève-glaces sont désormais de couleur noire (au lieu de gris précédemment) et que la porte avant du conducteur commande un interrupteur pour le plafonnier… luxe suprême ! Extérieurement, il est désormais possible de reconnaître les Ami 8 et Super produites à partir de septembre 1973 à leurs clignotants avant qui ne sont plus oranges mais blancs.

Plus aucun changement n’est au programme pour les Ami 8 du millésime 1975 si ce n’est l’apparition en série du signal de détresse.

Pour sa fin de carrière, l’Ami 8 subira quelques ultimes modifications : en septembre 1976, la calandre s’inspire de celle de l’Ami Super et le treillis argenté apparu dès les premières versions laisse sa place à une grille alvéolée noire sur laquelle les chevrons se détachent encore mieux. A l’intérieur, la planche de bord redevient noire, le rhéostat d’éclairage du combiné de bord disparaît alors qu’un témoin lumineux de niveau de LHM accompagné de son bouton testeur prend place sur la console centrale. En outre il faudra débourser 164 Francs pour être installé dans des sièges en tissu, car les garnitures targa sont désormais en série ; il en est de même pour que la voiture soit équipée de ceintures de sécurité à enrouleur. Citroën fait des économies « de bout de chandelle ».

En août 1977, à l’heure des bilans, la nouvelle direction de la firme au double chevron s’interroge sur le sort de l’Ami 8 : seuls 31.997 exemplaires ont trouvé preneurs. On est loin des chiffres de 1970 (124.418 voitures). Il faut alors se rendre à l’évidence, l’Ami a fait son temps ; son allure « haute sur patte » et son look démodé ne conviennent plus à la clientèle nouvelle qui sera celle des années 80. Elle sera maintenue pendant une année encore, le temps pour les ingénieurs du bureau d’études de peaufiner (bricoler ?) leurs travaux d’un petit véhicule sur base de …Peugeot 104 !

L’Ami 8 sera enterrée sans tambours ni trompettes, même pas à la sauvette comme ce sera toutefois le cas douze ans plus tard pour la 2CV. En été 1978, les concessionnaires et agents de la marque déduiront simplement d’une laconique note de service en date du 3 juillet que la carrière de l’Ami 8 s’est éteinte, puisqu’ils sont priés de se reporter, pour les véhicules AMI détenues en stock, au tarif 132 du 13/2/1978, applicables au véhicules A.M.78. Les Ami 8 n’apparaîtront pas au tarif n° 133, applicable aux véhicules A.M.79, daté du même jour.

Avec la disparition de l’Ami 8, c’est toute l’histoire des Ami qui s’arrête. C’est, en tout, dix huit années de l’histoire de la marque, près de deux millions de véhicules (1.840.159) produits, mais surtout de nombreuses familles qui ont pu accéder, en première ou deuxième main, à une voiture de taille moyenne mais aux capacités si grandes et impressionnantes.

C’est donc la toute nouvelle Visa qui succède en juillet 1979 à l’Ami 8, dont elle reprend la mécanique, portée à 652 cm3, la polyvalence du break grâce à un hayon (ce fameux hayon, cher à Bertoni mais dont Bercot ne voulait pas !) et aussi une certaine originalité de style !

 

Nota : Cet article a été publié en deux parties dans votre Ligne Z dès 1996. Il a été pillé et contrefait par Monsieur D. PAGNEUX sans autorisation pour ses ouvrages « L’Ami 6, 8 et Super de mon père » en 1998 et « l’Ami 6&8, des chevrons à succès » en 2007. En aucun cas, l’auteur du présent article a plagié ces deux ouvrages pour la rédaction du présent texte.